Leslie Banks

Leslie Banks n’est vraiment resté dans la mémoire des cinéphiles que pour un seul rôle, mais quel rôle! Celui du comte Zaroff qui, dans «Les chasses du comte Zaroff» (1932), le film légendaire de Ernst B. Schoedsack et Irving Pichel, organise, dans une île isolée du monde, une chasse à l’homme, dont le gibier est Joel McCrea. Quand il se présente au jeune homme qui, seul rescapé d’un naufrage, s’est réfugié dans son lugubre château, on croit voir apparaître le diable en personne. À première vue, il a tout l’air, avec son frac et sa barbiche, d’un Méphistophélès de salon, à la douceur mielleuse duquel se laisse prendre Joel McCrea. Une onctuosité que vient démentir la raideur inquiétante d’une partie de son visage, barré d’une sinistre balafre. Héritage de la guerre, cette face à demi paralysée, qu’ombre une fine cicatrice, est utilisée par l’acteur pour rendre encore plus menaçants certains de ses personnages.

Né le 9 juin 1890, près de Liverpool, Leslie James Banks aborde le théâtre dès le début des années 10. Il joue du Shakespeare, en tournée, puis dans le West End, la grande artère des théâtres londoniens, dont il devient, avec le temps, l’une des plus illustres figures. De 1914 à 1950, il paraît aussi sur les scènes de Broadway, interprétant notamment le capitaine Crochet dans «Peter Pan» (1924), avec Marilyn Miller, dans le rôle-titre, «The infinite schoeblack» (1930), de Norman MacOwan, qu’il met lui-même en scène, ou encore «Wine of choice (1938), de S.N. Behrman, dramaturge et scénariste américain qui adapta la pièce fétiche de Marcel Pagnol, «Fanny», pour en faire une comédie musicale à succès.

Au cinéma, sa carrière se partage entre l’Angleterre et l’Amérique. Il joue deux fois sous la direction de Alfred Hitchcock: avant James Stewart, il a le rôle principal dans la première version de «L’homme qui en savait trop» (1934) et il tient l’auberge, repaire de naufrageurs, qui donne son titre au dernier film anglais du maître, «La taverne de la Jamaïque» (1939), avec Charles Laughton. Le perfide comte Zaroff n’enferme pas Leslie Banks, à l’instar de Bela Lugosi ou de Boris Karloff, dans des rôles de tueurs psychopathes ou de savants fous, à quelques exceptions près, comme ce docteur Manetta qui, dans «La chambre des supplices» (1939), de Norman Lee, a aménagé un musée des tortures dans le sous-sol de sa demeure. Il incarne plus volontiers des personnages positifs, comme le constructeur de navires de «Le pavillon rouge» (1933), de Michael Powell, avec qui il tourne plusieurs films, le fonctionnaire colonial de «Bozambo» (1935), de Zoltan Korda, qui s’efforce de traiter les autochtones avec humanité, ou encore l’excentrique inventeur de «Cottage à louer» (1941), de Anthony Asquith.

La distinction un rien compassée de Leslie Banks lui vaut aussi d’interpréter nombre de militaires. C’est le major Slanton de «Debt of honor» (1935), de Norman Walker, le colonel Blair de «Six heures à terre» (1937), de Tim Whelan ou le vice-amiral Witherby de «Ceux du porte-avion» (1941), de Sergei Nolbandov. Cette allure patricienne le destine aussi à personnifier des aristocrates, comme sir John Holland dans «The night of the party» (1934), de Michael Powell ou le comte de Leicester, dans «L’invincible armada» (1936), du même cinéaste. Appréciant son expérience de la scène, Laurence Olivier, dont Leslie Banks a déjà été le partenaire, le choisit pour figurer le chœur dans son adaptation de la pièce de Shakespeare «Henry V» (1944). L’acteur décède d’une crise cardiaque le 21 avril 1952.

© Jean-Pascal LHARDY