Bertrand Tavernier

«Je n’ai fait des films que pour apprendre». Avec la curiosité pour moteur, Bertrand Tavernier s’est hissé au panthéon des cinéastes de renom. Né le 25 avril 1941 à Lyon, il grandit dans un milieu humaniste qui façonne son œuvre. Son père, à la tête d’une revue «Confluences» qui publie Eluard et Aragon, se révèle mauvais gestionnaire et oblige sa famille à quitter Lyon pour Paris. Bertrand est envoyé dans une pension où, peu porté sur le sport, il fait la douloureuse expérience de l’humiliation et se réfugie dans la solitude et la lecture. Au sanatorium, où il soigne sa tuberculose, il découvre le Septième Art.

Sa percée dans ce monde qui le fascine passe d’abord par des emplois d’assistant et d’attaché de presse, pour Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard et même Stanley Kubrick, et par des critiques dans des médias. Il fonde un ciné-club pour promouvoir des films américains, dont il est friand, et s’emploie à faire connaître des cinéastes de tous horizons ou des films passés à la trappe. C’est un roman de Georges Simenon qui l’incite à se lancer à son tour et qu’il transpose dans sa ville natale de Lyon, «L’Horloger de Saint-Paul» (1973). Le film est ovationné qui conte l’histoire d’un père qui se rapproche de son fils accusé de meurtre. Le père? C’est Philippe Noiret, un acteur avec lequel le cinéaste noue une fertile collaboration. Dans «Que la fête commence» (1974), l’acteur campe un Philippe d’Orléans débauché, dans un pays rongé par la famine. Le succès ne se dément pas avec «Le juge et l’assassin», (1975), confrontation entre le juge Noiret et le criminel Michel Galabru dans la France de la fin du XIXème siècle.

Grand cinéphile, éclectique, engagé, sensible, Bertrand Tavernier inscrit ses films dans l’Histoire, comme dans son époque, pour dénoncer injustices, dérives, violence, racisme, tout ce qu’il abhorre et qui malmène l’humanité. Prophétique, «La mort en direct» (1979) annonce la télé-réalité dans ce qu’elle a de plus macabre. «Coup de torchon» (1981) filme avec verve la déchéance d’un policier médiocre devenu assassin. Passionné par tous les genres, thriller, comédie, western, fantastique, Tavernier explore lui-même les thèmes les plus variés. Il s’emploie à nourrir la narration et à fusionner image et musique. Entre tradition et modernité, son cinéma est fécond, envoûtant, pictural et délivre toujours un message, d’indignation ou d’espoir. «Un dimanche à la campagne» (1983), chef-d’œuvre intimiste et subtil, est une réflexion sur le temps et la psychologie des êtres. «La vie et rien d’autre» (1988) est en revanche une charge contre la guerre et ses atrocités. Le cinéaste persiste et signe avec «Capitaine Conan» (1995), alias Philippe Torreton qu’il choisit encore pour «Ça commence aujourd’hui» (1998), éloge de la transmission de valeurs sur fond de détresse sociale. «Laissez-passer» (2001), hommage au cinéaste Jean Devaivre et au scénariste Jean Aurenche, évoque les conditions de tournage sous l’Occupation. Et pour son dernier long métrage, Bertrand Tavernier, qui ne manque pas d’humour, adapte une bande dessinée, satire des coulisses du pouvoir politique français, «Quai d’Orsay» (2012).

Père d’un fils acteur-réalisateur et d’une fille romancière, ce cinéaste unique et mondialement encensé décède le 25 mars 2021. Lui qui n’a eu que «le cinéma dans le sang», a dédié à sa passion et à ses maîtres «un acte de gratitude» avec «Voyage à travers le cinéma français» (2016). Une somme qui fait écho à son œuvre foisonnante et inspirée.

© Isabelle MICHEL