Tom Neal

Le nom de Tom Neal demeure associé à un film de Edgar G. Ulmer, «Détour» (1945), un chef-d’œuvre du film noir. Comme le fatum antique, la fatalité pèse lourd sur les épaules des personnages. Le héros du film s’y trouve englué comme la mouche dans la toile d’araignée. Du moment où il part rejoindre sa fiancée, le pianiste de bar fauché interprété par Tom Neal est pris dans une succession de faits imprévisible autant qu’implacable. L’engrenage fatal resserre peu à peu son étreinte sur le personnage, jusqu’à le broyer. Sur le visage de Tom Neal, s’apercevant qu’il vient d’étrangler par mégarde une femme de rencontre, Ann Savage, se peint l’impuissance d’un homme désarmé face à son destin.

Né le 28 janvier 1914, Tom Neal fait des études de droit et se distingue comme boxeur amateur, remportant de nombreux matchs au début des années 30. Après une brève escapade à Broadway, il débute, sur l’écran, une carrière qui n’en fera jamais une star. Il commence, juste avant la guerre, par des rôles secondaires, puis les emplois s’étoffent peu à peu. Il incarne ainsi, aux côtés de Ruth Hussey, le fils d’un magnat de l’aviation dans «La belle et la loi» (1938), de Gustav Machatý. Dans «They all came out» (1939), un film de Jacques Tourneur consacré à la réinsertion des détenus, il campe un chômeur que son poignet cassé empêche de trouver du travail. Tom Neal tourne surtout dans des séries B. C’est le cas de «The miracle kid» (1941), de William Beaudine, dans lequel son talent de boxeur lui permet de décrocher le premier rôle. Coiffé du casque colonial, il apparaît dans le serial lancé par le studio Républic, «La fille de la jungle» (1941), de William Witney, où la sauvageonne du titre, Frances Gifford, se balance dans les arbres aussi bien que Tarzan (le personnage est d’ailleurs aussi une création d’Edgar Rice Burrough).

Le western a également les faveurs de l’acteur. On le voit ainsi en lieutenant de l’armée américaine cherchant à faire la paix avec les Indiens dans «Le chef apache» (1949), de Frank McDonald. Dans «La ville du péché» (1949), de Thomas Carr, autre bande à petit budget, destinée à passer avant le «grand» film, Tom Neal incarne le maire d’une petite cité, amené à collaborer avec une femme détective. À noter encore, dans le serial de Spencer Gordon Bennett «Les soucoupes volantes attaquent» (1948), le rôle de Bruce Gentry, ce «casse-cou du ciel», selon le titre original, un personnage tiré du «comic» de Ray Bailey. Sans oublier la présence de l’acteur dans des films de guerre comme «Two-man submarine» (1943), de Lew Landers ou «Au-dessus de la gloire» (1948), de John Farrow, avec Alan Ladd.

Mais c’est bien plus sa vie privée, très mouvementée, que ses prouesses d’acteur qui hisse Tom Neal à la une des journaux. De fait, ses déboires sentimentaux le mettent souvent dans des situations délicates. En 1951, furieux de voir Franchot Tone tourner autour de sa petite amie du moment, l’actrice Barbara Payton, il envoie son rival au tapis, avec un nez cassé et un traumatisme crânien. Mais le pire est à venir. En avril 1965, il est accusé du meurtre de sa troisième femme. Bien que la peine capitale soit requise contre l’acteur, le jury suit l’avocat, qui plaide l’homicide involontaire. Il est emprisonné, puis libéré en 1971. Cette existence agitée effraie les producteurs qui, dès le début des années 50, rayent le nom de Tom Neal de leurs carnets. Il délaisse alors le cinéma et monte une entreprise de jardinage. Un an après être sorti de prison, il décède, le 7 août 1972, sans doute des suites d’une crise cardiaque.

© Jean-Pascal LHARDY