Bartolomeo Pagano

Bartolomeo Pagano est l’homme d’un rôle. Il s’y est même identifié au point de perdre toute identité propre. Ce rôle, c’est celui de Maciste, un colosse à la force herculéenne, qui aura une longue postérité à l’écran. Il apparaît pour la première fois dans un film mythique, «Cabiria» (1913), de Giovanni Pastrone. Le film se déroule durant la Seconde Guerre punique qui, au IIIe siècle avant notre ère, oppose Rome à Carthage, impressionne les contemporains par l’ampleur inhabituelle de ses décors. Bartolomeo Pagano, né le 27 septembre 1878, débute donc dans ce premier péplum, appelé à devenir l’un des chefs-d’œuvre du cinéma. On ne l’a pas choisi pour ses talents de comédien, mais pour sa musculature. En effet, il n’est pas acteur, mais docker sur le port de Gênes. On raconte d’ailleurs que le réalisateur l’aurait choisi pour sa parfaite dentition et une inculture crasse qui lui aurait donné plus de naturel.

Dans «Cabiria», Bartolomeo Pagano n’a pas le rôle principal. Il incarne l’esclave d’un patricien romain, qui s’est introduit clandestinement dans la ville de Carthage. Maciste l’aidera à sauver la petite Cabiria, une enfant romaine enlevée par des pirates phéniciens et emmenée à Carthage, où elle doit être sacrifiée à Moloch, le dieu dévoreur d’enfants. Mais les producteurs discernent, dans ce bon géant, un filon à exploiter. L’année suivante, il décroche la tête d’affiche dans «Maciste» (1914), de Luigi Romano Borgnetto et Vincenzo Denizot. Durant une douzaine d’années, le personnage est mis à toutes les sauces. Il n’aura plus grand rapport avec le personnage imaginé par Gabriele d’Annunzio pour «Cabiria». Ses aventures n’ont plus pour cadre une Antiquité de fantaisie, mais, le plus souvent, l’époque contemporaine. On voit alors Maciste s’engager dans l’armée («Maciste chasseur alpin» - 1916), diriger une enquête («Maciste détective» - 1917) ou participer à une séance de spiritisme («Maciste médium» - 1917). Maciste n’est pas insensible au charme féminin («Maciste amoureux» - 1919), combat le crime («Maciste contre la mort» - 1920) ou prend même du bon temps à l’occasion («Maciste en vacances» - 1921).

Dans «Maciste imperatore» (1924), de Guido Brignone (un film disparu, mais dont il reste des photos) les coups de menton et le torse bombé de Bartolomeo Pagano évoquent les poses «martiales», aujourd’hui comiques, d’un Mussolini qui, paraît-il, admirait beaucoup Maciste. De fait, il y a autant du cabot que de l’hercule de foire chez le Duce. L’année suivante, le même cinéaste dirige le comédien dans un «Maciste aux enfers» savoureux, dont les trucages, dus au futur réalisateur espagnol Segundo de Chomon, rappellent un peu les fééries de Georges Méliès. Ses films valent une grande popularité à l’acteur. Il est partout suivi d’une nuée de fans dont il se montre très fier. Porté par cette célébrité, il tourne des films en Allemagne, dont «Maciste et le coffre chinois» (1923), de Carl Boese, où Maciste découvre le cadavre d’un Chinois dans un coffre. Il fait aussi une tournée triomphale aux Etats-Unis.

Après avoir incarné, en fin de carrière, d’autres personnages, comme le général babylonien Holopherne, décapité par Judith, dans «Bataille de géants» (1928), de Baldassare Negroni, Bartolomeo Pagano se retire dans la «villa Maciste», qu’il a fait construire sur la côte ligure. Une série de maladies ruinent la santé de ce colosse, devenu l’ombre de lui-même, et l’éloignent des studios. Si le comédien est mort le 24 juin 1947, Maciste, lui, continuera son existence de cinéma.

© Jean-Pascal LHARDY